Une fois n’est pas coutume, c’est n’est pas de vélo dont nous allons parler, mais de trail, voire d’ultra trail.

On peut considérer que le trail est à la course à pied ce que le VTT est au vélo de route : un sentiment de liberté de pouvoir emprunter des chemins naturels : sentiers, sous-bois, chemins en montagne…

 

Nous sommes quelques uns au club à le pratiquer un peu plus cette année, avec des objectifs de plus en plus ambitieux. Car si le graal de la course à pied est le marathon, si le graal du triathlon est l’ironman, alors la distance fétiche du trail correspond au 100 miles en montagne (~160km) dont les épreuves reines sont l’UTMB à Chamonix ou la diagonale des fous à la Réunion.

 

L’histoire a commencé il y a environ un an avec l’objectif pour Céline et moi de réaliser un 100 miles en 2022. Céline s’était déjà depuis bien longtemps confrontée à des distances (128km à l’infernale des Vosges) ou des durées (24h d’Olhain) hors du commun, et de mon côté, je construisais ma progression sur 2021 (65km/3400D+ à la 6000D, 86km/4700D+ à Embrun avec Céline, 105km/4800D+ aux Templiers à Millau, 80km/2500D+ à la Saintélyon).

 

Les objectifs de 2022 commençaient alors à se mettre en place avec en vue un lointain et hypothétique 100 miles au pays des Cathares (et non pas au Qatar), à Carcassonne fin Octobre. Benoît avait aussi rejoint le groupe pour profiter de la dynamique et préparer un 100km dans le Jura

 

Et pour construire tout cela, quelques trails ou courses intermédiaires en 2022 dont les plus notables :

  • Trail des 3 châteaux (80km/3500D+) à Dijon pour Céline et moi
  • Ultra Trail des Monts de Flandres (80km, 2000D+) pour Céline
  • Trail du grand Ballon (80km/3000D+) pour Benoit et moi
  • 100km de Steenwerck pour moi et Céline (victoire pour Céline et abandon sur blessure pour ma part au ⅔)
  • Trail de la côte d’Opale (86km/2000D+) pour moi
  • Trail de Belle Ile (80km/2500D+) pour Céline
  • GR20 (180km/12000D+) pour moi en rando
  • Trail des Monts Jura (105km/4200D+) pour Benoît (son premier 100 !)

A noter au programme le 90 du Mont Blanc, une course annulée au dernier moment, une fois sur place, pour Benoît, Céline et moi-même, bien dégoutés de la situation.

 

Bref, un peu de matière quand même pour se préparer au monument final. Je me souviens d’ailleurs de la motivation mutuelle qu’il nous a fallu avec Céline pour procéder à l’inscription, en juin dernier. Mais voilà, quelques clicks plus tard, nous étions embarqués dans une aventure (à vrai dire déjà commencée) de préparation physique et mentale pour une course de 160km/7000D+ en 42h max…

 

Comprenez de fait qu’il restait peu de place à la pratique du vélo cette année, et que les sorties du week-end étaient plutôt occupées sur les chemins ou terrils du coin.

 

Et nous voici à l’échéance, dans un état de forme et de confiance correct pour ma part, mais compliqué pour Céline qui venait d’attraper le Covid 2 semaines avant, et qui partait avec un état de fatigue avancé et quelques effets secondaires… Mais Céline est vaillante, elle m’avait déjà fait le coup en février dernier sur le 80 à Dijon, où elle partait post covid également et avec un genou en vrac. Cela ne l’avait pas empêché d’arriver 1h avant moi…

 

Trajet sur 2j pour arriver à Carcassonne du jeudi midi, retirer les dossards, faire une sieste et prendre le départ au pied de la cité de Carcassonne le jeudi à 21h. Car oui, tant qu’à faire, les organisateurs ont préféré corser la situation en démarrant la course de nuit, ce qui en toute logique devait nous conduire à 2 nuits de course (arrivée probable le samedi matin). Et pour nous 2, une bonne partie du challenge était là : gérer la distance, mais aussi l’état de fatigue, voir comment le corps réagissait et quelle stratégie adopter face à la fatigue : dormir quelques heures (si les barrières horaires le permettaient), micro siestes (5/10mn max) ou pas du tout… Impossible de le savoir avant d’être confronté à la situation.

Nous sommes tous 2 dans le même état d’esprit : l’objectif n’est pas le classement, mais de terminer dans de bonnes conditions, profiter et découvrir. Et chance, la météo est idéale, de jour comme de nuit. Pas de pluie annoncée, températures entre 15 et 25, et un peu de vent la nuit.

L’organisation impose toutefois du matériel obligatoire (vêtement chaud et imperméable, n’oublions pas que nous sommes en montagne), mais nous courrons en tee shirt, y compris la nuit.

L’organisation propose également de disposer d’un sac de délestage accessible au 50 et 105ème km. L’occasion d’y fourrer trop de choses : 2 paires de chaussures (au cas où), vêtements chauds, short et tee shirt, lampes, batteries et powerbank, nourriture et boisson perso… Bien évidemment, la préparation de ces sacs prend un temps fou et on s’y perdra tous les 2 au moment de les utiliser (45mn passés sur ces bases de vie à se changer, se poser, se restaurer, se reposer…). Décidément, même en trail, les transitions et moi…

 

Mais revenons au départ. Nous sommes peu : 140 au départ. Moins de participants que de km… Cela présage de longs moments de solitude de nuit comme de jour une fois le peloton étiré… Nous le savons, cela fait partie de l'expérience… Dans ma tête, je découpe la course en 3 tronçons de 50km, séparés par les passages à la base de vie. Globalement, le 1er tronçon de nuit, le 2ème de jour, le 3ème de nuit…

Sur le trajet vers le départ, de nombreux passants (et même des policiers) nous félicitent de nous aligner sur une telle course. Ça fait toujours plaisir… Le départ est donné le long des remparts éclairés. Magnifique…

Je tombe malade (mal au bide) assez rapidement (7km), et je ne comprends pas trop la situation car les difficultés ne sont pas encore là. Forcément, le doute s’installe… Une vidange par le bas plus tard, et tout semble revenu à la normale… jusqu’au 30ème km ou revidange… Cette première partie est composée de longs singles en forêt, de traversées de champs (avec passages d’échelles pour passer les enclos). Le balisage est exceptionnel : les frontales permettent de repérer les balises réfléchissantes. Il y en a toujours quasiment au moins une en vue à tout moment. Je me rends compte du temps qu’il a fallu pour le mettre en place (et qu’il faudra pour le défaire). Le temps est idéal pour courir. Je suis en tee shirt. Je remonte juste les manchettes sur les passages dégagés où le vent est de la partie. 

J’arrive à la 1ère base de vie (50 km) 15mn avant la barrière horaire vers 6h00. C’est certain, bon nombre de camarades de course derrière moi seront arrêtés là. Malgré mes arrêts techniques, cette barrière horaire me paraît rude. Je n’ai d’ailleurs fait que perdre du temps sur la barrière sur les 2 ravitos intermédiaires (45mn d’avance, puis 30, puis 15). D’autant que les délais semblent s'élargir après coup…

Un coup d'œil au suivi live, Céline est à une heure devant moi… Elle n’a pas traîné… visiblement, elle aurait aussi été malade, avec vidange par le haut pour sa part… Décidément… Je prends mon temps sur ce ravito (encore un peu malade) pour en sortir à la limite de la barrière horaire. Je ressors de là donc bon dernier… mais encore en course. De toute façon, sur ce genre d’épreuve, les jeux ne sont pas encore fait…

La deuxième partie de la course se passe donc en effet de jour. Le balisage est toujours aussi dense, mais cela ne m'empêchera pas de me tromper 2 fois de suite en forêt par manque d’attention, peut-être aussi dû à la fatigue et au fait qu’il faille y faire plus attention qu’en pleine nuit. Par contre, on se sent toujours aussi seul. Céline comme moi avons chargé le téléphone de podcast et de musique qui s'avèrent de précieux alliés pour lutter contre la solitude. 

Sur un chemin avec quelques caravanes le long, je vois 3 chiens hargneux et aboyants qui courent vers moi. Mon premier réflexe est d’orienter mes bâtons vers eux pour m’en servir comme arme, mais je me souviens d'instructions que m’avait donné un guide de montagne en passant près d’un patou et je me ravise pour ne pas qu’ils se sentent agressés. N’empêche que j’en mène pas large. Pendant quelques centaines de mètres, les 3 chiens avancent à quelques centimètres de mes mollets, en me gueulant dessus. J’arrive toutefois à garder mon calme et à avancer en attendant un rappel à l’ordre des propriétaires qui ne viendra évidemment pas (il n’y avait personne en vue). Passé un certain point, les chiens s’arrêtent, leur territoire étant derrière eux. C’était chaud et je me demande comment les autres participants ont vécu la situation. Quelques minutes plus tard, j’entend au loin de nouveaux les aboiements signalant la présence d’un autre concurrent.

Le ravitaillement arrive vite. Je signale l’incident et discute de ce fait de course avec d'autres personnes. Céline m’expliquera après coup qu’il n’y avait qu’un chien au moment où elle est passée, et qu’elle avait attendu le passage d’autres coureurs pour former un groupe.

Voyant quelques lits de camp disponibles, je me dit que c’était peut être le moment d’essayer de faire une sieste. Je ne sens pas la fatigue (d’autant que je viens de subir un stress), mais les prochains ravitaillements ne possèdent pas de lit d’après le roadbook. Je ne mets pas de réveil et je compte sur ma capacité à faire des micro siestes de quelques minutes quand je suis chez moi. Et ça marche, je me réveille au bout de 5mn. Je sens le relâchement du corps. Je repars dans la foulée après m’être changé pour attaquer le gros morceau du parcours : le pic de Bugarach, un petit massif très accidenté digne des parties difficiles du GR20, mais avec une superbe vue sur les pyrénées. Et avec 80 bornes dans les pattes, la traversée s’avère compliquée. Montée en mode via ferrata, descente un peu acrobatique et glissante. La progression est lente, et franchement, j’étais content d’en sortir. Les avis des quelques coureurs rencontrés sont unanimes sur l’étrangeté de trouver un parcours aussi compliqué (pour ne pas dire dangereux) sur un trail, d’autant que cela n’avait pas été indiqué au programme. Les personnes ayant le vertige ont clairement passé un mauvais moment. Céline me raconta plus tard qu’elle avait eu en plus une grosse période de moins bien physique pendant ce moment de la course, et qu’elle aura pris bon nombre de gamelles dans la descente. Elle fera une sieste de 5mn derrière un camion de secours à un ravito qui lui donnera également un boost pour arriver à la base de vie.

 

 

Quand à moi, le retour vers la base de vie (106km) se passe plutôt très bien, car malgré un ongle noir, j’arrive encore à bien courrir (enfin, trotiner) et je dépasse pas mal de concurrents. J’en dépasse même un en mode zombie, que j’incite fortement à faire une sieste sur le bord de la route. La météo s’y prête bien qui plus est…

J’arrive à la base au crépuscule. Nouvel accès aux sacs, pile poil pour un changement de tenue. Céline est là, pas loin de repartir avec un compagnon de route. Pour ma part, j’ai l’intention d’essayer de refaire une micro sieste et de profiter de la base pour bien me restaurer. J’ai plusieurs heures d’avance sur la barrière horaire, donc no stress… Malheureusement, pas possible de dormir et je me relève au bout de 15mn. Il s’agit du dernier accès aux sacs, de fait, j’essaye d’optimiser et d’alléger mon sac.

Je repars pour une 2ème nuit et vois qu’il est toujours possible de trotter. Je ne m’en prive pas, et je dépasse encore quelques personnes.

Mais une douleur que je connais bien commence à se manifester au genou droit : syndrome de l’essui glace. Ça risque d’être compliqué pour la suite. Au ravito suivant, je retrouve Céline sur le départ qui me conseille d’aller voir le staff médical. J’essaye une nouvelle fois de dormir, mais toujours pas possible. Un pompier me fait un strap au genou, et je fais un malaise vagal en me relevant. Je repars m’allonger, mais toujours pas possible de dormir. Je me remet en route en courant, et visiblement le strap fait son effet. La douleur est remplacée par un point de pression. Magique…

Je retrouve Céline au ravito d’après. Philippe, son compagnon de route, s’est remis en route et elle m’attendait. Une grosse cloque sous le pied la fait souffrir… On tente le compeed, mais il s'avère inutile pour soulager la douleur à cet endroit (car point d’appui). On repart, il n’est pas loin de minuit, et il doit rester un bon 30km qu’on terminera ensemble en mode rando. On récupérera Philippe au ravito suivant et c’est à 3 que nous avancerons dans la nuit, luttant contre la fatigue et les alternances de montées/descentes.

Céline se prendra le luxe d’éclater sa cloque, histoire de rajouter de la souffrance à chaque pas. Elle avouera par la suite que cette douleur l’a aidé à lutter contre la fatigue…

Le dernier ravito annonce aussi le lever du jour et la fin du parcours sinueux en montagne. Céline y boit une dernière soupe aux vermicelles (ça devient compliqué de trouver de la nourriture ou boisson qui fasse encore envie). Mais l’excitation de l’arrivée (il reste 9km) nous réveille bien. Jocelyn, (le zombie de tout à l’heure) revient sur nous à ce moment et nous franchissons la ligne d’arrivée à 4, après avoir traversé la vieille cité de Carcassonne. Il est un peu plus de 9h, le Samedi. Nous sommes partis 36h plus tôt… une éternité…

Quelques photos, une douche (quel bonheur), quelques soins aux pieds pour Céline, et nous allons nous coucher. Pour ma part, je m’endors dans les secondes qui suivent… pour une bonne sieste de 2 heures. Nous reprenons la route un peu plus tard, et faisons une bonne nuit cette fois-ci où nous profitons pleinement du surplu accordé par le changement d’heure (à vrai dire, nous étions tellement décalés que c’est à notre retour que nous apprenons le changement d’heure et dormi une heure de plus que ce que nous pensions)

 

Il s’agissait d’une première pour nous 2, et nous avons coché toutes les cases de nos objectifs. Hormis la fatigue liée au manque de sommeil, nous sommes surpris de notre fraîcheur musculaire. Quelques courbatures bien sûr, mais c’est sans comparaison pour ma part avec l’état où je me suis déjà trouvé après un marathon. Il s’agit ici d’effort de faible intensité qu’il faut savoir garder longtemps. L’alternance de course et de marche aide à préserver les muscles et les articulations. Le cardio ne monte jamais bien haut…

 

Nous avons franchi un cap, repoussés certaines limites de notre corps et de notre mental. De cela nous sommes fiers. Céline a d’autant plus de mérite qu’elle n’était pas vraiment en forme, et n’importe qui à sa place n’aurait pas pris le départ. Et sans compter les douleurs au pied qu’elle a endurées pendant la course. Chapeau Céline

 

L’aventure ne fait que commencer…

 

Et un grand merci aux personnes qui nous ont suivi pendant l'aventure. Vos messages de soutien ont eu leur rôle dans son aboutissement.

 

PS : Concernant les résultats, nous arrivons à la 82ème place sur 131 partants et 99 finishers (25% d'abandons). Arrivés en 36h, (20h pour les premiers) avec 6h d'avance sur les barrières horaires